CoverJ

Pourquoi les athlètes noirs ne sortent qu’avec des femmes blanches (*)

Ce dossier est tiré d’une des chroniques « Société en Débat » de l’émission NeoQuébec. Il est donc fort probable, voire certain que la correspondance entre la chronique audio et et le texte ci-dessous ne soit pas tout à fait exacte. Il ne s’agit pas seulement d’une transcription exacte de la chronique audio, mais aussi et surtout d’un complément d’information, d’une présentation plus complète du sujet : Pourquoi la plupart des athlètes noirs de renommée se marient avec des femmes blanches ?

Pour remettre les choses en contexte, je n’ai pas moi-même lancé la question sur les réseaux sociaux. En revanche, dès que j’ai partagé le sujet sur mes plateformes personnelles, les messages ont afflué tant en commentaires publics que dans ma boîte privée. C’est d’ailleurs l’une des rares fois où l’annonce de sujet de chronique à venir m’a valu autant de réactions ! Et ce,  avant même la publication de mon intervention. (Il va sans dire qu’après mon intervention, ce fut littéralement le déluge). Et à  ce propos, si je fais un petit comparatif de toutes mes chroniques publiées depuis plus d’un an, celles qui touchent aux relations sexo-affectives au sein de la communauté noire m’ont valu le plus de réactions avant, pendant et après mon intervention. C’est le cas pour la présente chronique, mais il y a également eu “Pourquoi les femmes noires se mettent en couple avec des hommes blancs ?” (très demandé après la première) et “Les enfants mixtes sont-ils la réponse au racisme ?”.

Il est aussi intéressant de noter que “Les relations entre hommes noirs et femmes blanches” fut le premier sujet que j’ai eu à défendre bec et ongles pour obtenir le feu vert d’en faire une chronique.

Il me revient encore à l’esprit ma surprise lorsque Cyrille (le producteur) m’avait téléphoné après avoir reçu l’annonce de mon sujet. Normalement, deux ou trois jours avant l’émission, je lui indique ce dont je vais parler, par message. Auquel  il me demande quelques clarifications afin de savoir comment présenter le sujet à l’antenne et préparer des questions à me poser à la fin de ma chronique. Je n’avais donc jamais reçu un appel et encore moins pour discuter de la validité de mon choix, mais apparemment mon sujet valait une intervention immédiate.

– “Jade ! Ton sujet ! Les athlètes noirs qui sortent avec les blanches ? Je ne vois pas ce qu’il y a dire là-dessus et encore moins pendant 15mn ?! ”, avait-t-il aussi embrayé. « Tu n’as pas mieux à me proposer ? » J’avoue avoir été étonnée de son appel et encore plus du fait qu’il ne voyait ni l’intérêt, ni la pertinence de mon sujet. L’étonnement passé, je suis partie dans une envolée d’arguments, sollicitant Patricia Hill Collins, Amandine Gay, les campagnes de Hashtags, des chansons de ralliement scandées par MWASI lors de leur manif… Tout ce qui me venait en tête pour le convaincre de me laisser en parler au micro. Du même coup j’avais réalisé l’ironie de la situation: toutes les femmes noires cis à qui j’avais parlé de ma chronique avaient aussitôt hoché la tête d’un air entendu, puis embrayé sur une longue liste d’anecdotes personnelles sur le sujet. En revanche le seul homme noir cis qui en entendait parler, avant enregistrement, trouvait l’idée nébuleuse, anecdotique et impossible à maintenir comme chronique. L’appel a duré une bonne demi-heure au bout de laquelle Cyrille m’avait simplement dit : “ Ok ! Ok ! De toute façon j’entends à ton ton de voix que tu ne lâcheras pas l’affaire. On verra ce que ça donne jeudi”. J’avais compris le défi. J’avais intérêt à convaincre ! Ce fut au final la chronique qui fit décoller mon segment à l’émission ! Et celle qui me permet aujourd’hui de convaincre mon producteur d’à peu près toutes mes envies de sujet. “Tu te souviens quand tu as presque voulu m’empêcher de parler des hommes noirs en couple avec des femmes blanches ?  » Arme ultime !

Pour en revenir au sujet, c’était Lyndon Antonio, joueur des Washington Redskins, qui en mars 2017 avait posté une photo sur son compte Instagram accompagnée de la fameuse interpellation envers les hommes noirs. Ce footballeur est alors lui-même marié à une femme noire et père d’une petite fille noire. A priori, la question le taraudait non pas en raison de son couple personnel, mais parce qu’il avait constaté être en complète minorité vis-à-vis de son milieu professionnel. Une réalité qui l’avait tant choqué qu’il avait décidé d’en faire un sujet de post instagram. Si, en soi, interpeller les hommes noirs sur leurs préférences sexo-amoureuses auraient pu suffire à attirer l’attention des médias, ce fut le commentaire d’un certain Maserati Rick qui déclencha la tempête des réseaux sociaux.  Ce dernier (à l’identité formelle inconnue, cela peut-être un faux nom), posant avec les couleurs de l’équipe des Miami Dolphins, s’était en effet empressé d’aller offrir des explications “claires, nettes et précises” sur les raisons du “pourquoi les hommes noirs sortent avec des femmes blanches”. Son commentaire (et le post) devinrent immédiatement viraux.

Voici un extrait de son commentaire (traduction libre) : “La réponse est simple mon frère, la plupart de nos soeurs ont été éduquées dans des foyers brisés, et ne possèdent pas le savoir adéquat sur la manière de traiter un homme. Du coup, elles gâchent pas mal de relations. La plus grande différence c’est qu’une femme blanche connaît sa place et accepte son rôle en tant que femme, elle laisse le rôle de leader à l’homme. Les femmes noires s’imaginent que c’est supposé être du 50/50 et tu dois vraiment manquer d’éducation pour croire une telle chose. Les femmes noires sont têtues, étroites d’esprits, et veulent constamment argumenter et être la patronne. Les hommes n’aiment pas ce type de conneries. Encore plus si tu réussis dans la vie. Les jeunes athlètes noirs sont à la recherche de femmes qui sont prêtes à se soumettre et à faire leur part, tandis qu’eux gèrent le business. […] Les femmes noires sont “incoachables”. (Le post original est un peu plus long mais disons que nous avons compris l’essentiel de son propos avec cet extrait).

Notons tout d’abord la dichotomie immédiate faite entre femmes blanches et femmes noires dans le commentaire de Maserati. En effet, la question initiale de Lyndon était “Pourquoi les hommes noirs sortent avec des femmes blanches ?” Ce qui aurait pu signifier “à l’exception de toutes les autres”. Les autres pouvant regrouper les femmes noires (certes) mais également les femmes issues des communautés asiatiques ou encore des communautés arabes, latines, etc.  Mais Maserati interprète la question autrement : les hommes noirs, du fait de leur appartenance aux communautés noires, devraient favoriser les femmes de leur propre race, ceux qu’ils ne font pas, et recherchent avant tout les femmes blanches. Et selon lui, et c’est toute l’importance de la perfidie de son commentaire, c’est de la faute des femmes noires avant tout ! Les femmes noires ne sont pas des compagnes à la hauteur des enjeux. Elles ont bien trop de défauts pour fonder un foyer harmonieux. Elles sont littéralement tenues comme responsables de l’échec des hommes noirs. Elles ne sont pas prêtes à faire leur job. Etc etc etc.

Sa réponse va tourner sur les réseaux sociaux et provoquer de nombreuses réactions (de nombreuses critiques, mais aussi pas mal d’appuis). Lorsque j’ai défendu mon droit à parler du sujet, mon producteur m’a fait remarquer que ce type de commentaire haineux se trouvait à la pelle sur internet. “Tu ne peux pas faire une chronique de 15 minutes sur UN message d’un imbécile sur les réseaux sociaux car alors tu seras obligé de faire des chroniques sur le sujet toutes les semaines !” Et sur le coup j’ai trouvé sa réaction vraiment intéressante. Adresser le sujet comme une “controverse” ne faisait pas sens à ses yeux car finalement c’était extrêmement banal comme commentaire. C’est du contenu problématique certes mais répandu, répétitif et finalement rien qui ne sorte de l’ordinaire ! Un homme noir qui bashe les femmes noires au profit de femmes blanches ? Rien de neuf sous le soleil. Passons à autre chose. Next.

Notre désaccord est intéressant à plus d’un titre…

Cette banalisation du phénomène s’accompagnait pour ma part d’une impression amère de déjà-vu. Cette opposition femme noire cis et femme blanche cis, de la part des hommes noirs cis de nos communautés, est une réalité bien connue, trop connue. Au point qu’il ne me fallait que quelqu’une minutes de conversation avec des femmes noires cis pour que des exemples personnels leur viennent en cascade. De manière plus “globale”, on pense tout de suite au traitement reçu par les femmes noires célèbres, victimes de milliards de commentaires et d’une couverture médiatique dénigrante. Des arguments qui s’enracinent dans la misogynie noire et touchent Michelle Obama à Christiane Taubira en passant par Serena Williams et Viola Davis. Quelques semaines avant ma chronique, c’était le traitement de Leslie Jones (notamment sur Tweeter) qui venait spontanément dans les conversations sur le sujet.

Et le problème n’est pourtant pas limité aux célébrités. Le film d’Amandine GayOuvrir la voix” en est le parfait exemple. Le documentaire est centré sur les expériences des femmes noires issues de la diaspora africaine et caribéenne, et vivant en France. Parmi les nombreux enjeux que la réalisatrice aborde avec ces femmes dans son documentaire, il y a le rapport aux hommes noirs, notamment dans la sphère intime. Les témoignages sont alors abondants. Malgré les différentes femmes interviewées (différence d’âge, de positions sociales, d’origines ethniques, de parcours scolaires, etc) les histoires se croisent et se recoupent toutes. Elles racontent, devant la caméra, comment elles ont très vites compris qu’elles n’étaient pas considérées romantiquement par les hommes de leurs propres communautés. Des dizaines de témoignages qui disent encore et encore et encore la même chose : « Moi je ne sors pas avec des noires « . Un comportement qui, même sans utiliser ces mots, même sans l’affirmer ouvertement, trahissait la même réalité :  » Moi je ne sors pas avec des noires « .

C’était terminé avant même d’avoir commencé.

Face à toutes histoires, ces témoignages, mais aussi les divers supports et plateformes où l’on retrouve ce même traitement des femmes noires, je me suis dit qu’il était temps d’aller voir du côté des statistiques. Qu’en est-il des chiffres lorsqu’on s’interroge sur les relations interraciales ? Les hommes noirs se mettent-ils effectivement en couple beaucoup plus avec des femmes blanches ? Qu’en est-il des mariages par exemple ? Est-ce une véritable tendance, qui se vérifie sur le terrain, ou juste le cas de micros exemples passés à la loupe grossissante une fois atteint les réseaux sociaux et les médias ?

Les statistiques furent particulièrement éclairantes sur le sujet. Aux Etats-Unis, par exemple, elles confirment qu’au niveau des mariages, les hommes noirs vont bien moins se marier à l’intérieur de leur groupe racial que les femmes noires par exemple.

D’autres chercheur.e.s se sont penchés sur le cas des applications de rencontres qui ont inondé le marché ces dernières années, en tentant une expérience : demander à des hommes issus de différentes communautés de hiérarchiser leur type de femmes, des plus désirables au moins désirables, en matière d’appartenance communautaire. Un constat : quel que soit l’homme interrogé et son origine, les femmes noires n’arrivent jamais en premier. Y compris pour les hommes noirs. Et non seulement elles ne sont jamais citées comme “plus désirables” ou “plus recherchées” sur les applications de rencontres, mais en plus elles arrivent bien plus souvent en dernier choix. Le bas de l’échelle.

Enfin certaines recherches ont permis d’évaluer le taux de réponse sur les applications de rencontre en fonction de l’appartenance raciale. Et il s’avère que quel que soit le receveur, les femmes noires sont celles à qui on répond le moins. Ainsi sur le marché des rencontres sexo-affectives, les femmes noires sont les moins recherchées. Celles que l’on contacte le moins. Et celles qu’on n’envisage pas pour fonder un foyer ou avoir une relation amoureuse (ces études sont menées dans une option entièrement binaire et cis-centrée et ne prennent absolument pas en compte les femmes noires trans ou encore les personnes non binaires)

Donc non seulement ça « pique », mais ça blesse !

Et cela ne semble pas s’arrêter. C’est même le contraire. En 2015, sur Twitter, des hashtags comme #EverythingBlackButMyWife ou encore #AllBlackButMyWife étaient arrivés en trending mondial ( je vous laisse imaginer le nombre de tweet/ retweet que cela a nécessité pour atteindre une telle position). Cette campagne de hashtag est probablement l’exemple le plus concret de mon propos. Des hommes noirs sur Twitter s’étaient lancé dans une véritable vantardise quant au fait d’être noir, et de tout avoir de noir : la grosse voiture, le téléphone, la montre, la carte de crédit, etc. Mais avoir une femme blanche à la maison. Et pour bien comprendre tous les enjeux qui se jouent, il faut percevoir l’angle de réussite sociale qui se dessine. C’est-à-dire que le message véhiculé était “nous avons tellement réussi dans la vie, qu’on a tout de noir mais que notre femme est blanche”. La réussite financière et sociale, le fait de grimper les échelons, sont littéralement symbolisés par l’union interraciale. Dans ce contexte donc, la femme blanche n’est pas uniquement une femme blanche, la femme blanche devient LE signe de réussite.

Et la femme noire dans tout ça ? A lire comme le symbole de l’échec : celle qu’on a pris à défaut d’avoir pu “ faire mieux”.

Et là-dessus je m’interroge : comment en est-on arrivé là ? Comment en est-on arrivé à un point où même les hommes de notre propre communauté ne considèrent pas l’idée de former des couples avec des femmes noires comme un prospect désirable ? Et pire, comment une telle position peut s’accompagner d’une telle fierté ? Comment est-ce que la femme noire est devenue, dans l’imaginaire affectif et même collectif, associée à l’échec ? Car c’est là toute l’importance du discours : le choix d’être en couple avec des femmes blanches s’accompagne d’un véritable dénigrement des femmes noires. Comme l’a très bien illustré le commentaire de Maserati Rick.

Tout d’abord du côté de la “recherche scientifique”. On s’entend qu’il y a eu une véritable masse d’articles “de science” racistes donnant une foule d’explications au “pourquoi du comment” les femmes noires seraient moins désirables que les autres. On se rappelle tout.e.s. des arguments, plus fallacieux les uns que les autres, qui étaient supposés prouver la supériorité de la race blanche sur la race noire. Littérature qui avait succédé à la littérature religieuse, notamment durant la période coloniale. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a même pas besoin de remonter “aussi loin” pour trouver ce type de sources. Il est possible de citer l’article de Satoshi Kamazawa qui a avait publié un article sur le site “Psychologic Today” ( un site qui réclame notamment des crédits scolaires et la maîtrise des normes universitaires pour y publier; cela n’a en rien freiner la publication de Satoshi Kamazawa et amène à se poser la question de savoir ce qu’on considère comme légitime et scientifique dans la production de savoir. Passons). Selon lui donc tout était question de testostérone. Les femmes noires auraient plus de testostérone que la moyenne et seraient donc, pas conséquent, moins désirables pour les hommes hétérosexuels. Par contre, toujours selon l’article, les hommes noirs auraient plus de testostérones et par conséquent plaisent à beaucoup plus de femmes. CQFD ! (Approche raciste, transphobe, homophobe,… tout y passe là. D’un article on fait plusieurs coups et hop). L’article a été retiré aussitôt suite à l’avalanche de critiques, mais il est toujours possible de trouver des extraits sur Huffington Post.

Au-delà de la littérature “scientifique”, n’oublions pas les traces laissées par le traitement des populations durant et après l’esclavage. Il faut constamment le rappeler, à l’époque, les maîtres blanc.he.s ne permettaient pas à leurs esclaves de former librement des relations / une stabilité familiale / un foyer etc.  Une très belle étude sur la perte de l’intimité et des droits sur son propre corps, est menée par la professeure Hortense Spillers que je recommande chaudement. Non seulement donc on ne leur permettait pas cette liberté de choix, mais on brisait systématiquement les familles au gré des ventes d’esclaves et des meurtres, on arrachait des enfants à leurs mères qui perdaient tout espoir de ne jamais les revoir. Entre les tortures et les conditions de travail inhumaines, la mort était brutale et omniprésente. Et notons également que les esclaves étaient sujet.tes au viol par les maître blanc.hes. De ces unions forcées naissaient des enfants qui pouvaient avoir la complexion plus claire, signe de leur ascendance. Or durant l’esclavage, avoir la peau plus claire vous permettait de bénéficier d’un traitement différent. Cela ne signifiait pas pour autant que vous échappiez à votre statut d’esclave mais il était possible, par exemple, de travailler dans la maison du maître plutôt que dans les champs.

Ce traitement différencié des esclaves selon leurs traits phénotypes (avoir la peau plus claire ou des traits plus fins par exemple) a laissé des traces dans l’organisation sociétale des colonies. Notamment dans les sociétés des Caraïbes où le colorisme a un impact considérable sur les hiérarchies sociales (je recommande l’émission de podcast Moun Woke dont l’épisode 02 porte sur le colorisme). Mais le colorisme nous enseigne également sur ce qu’on considère comme LA beauté. En effet, autre dimension qui alimente le maintien du colorisme dans les psychés collectives, est l’affirmation constante des standards de beauté comme associés à la peau blanche. Plus vous avez la peau claire, plus vous avez les cheveux fins et lisses, plus vous vous rapprochez de LA beauté célébrée de manière globale dans les sociétés occidentales (mais pas seulement du fait de la mondialisation). Ce qui a donné notamment le skin-bleaching (article à venir sur le sujet).

Et cela ne touche pas uniquement la beauté ! Par exemple il a été démontré que des entreprises considèrent les coiffures afros ou encore les dreadlocks comme n’étant pas suffisamment professionnelles. Par conséquent, porter votre cheveu au naturel va être un motif suffisant pour ne pas vous engager ou même pour justifier votre licenciement.  De mon expérience personnelle, j’ai travaillé pour des entreprises où j’ai explicitement reçu pour consignes de ne jamais venir avec les cheveux lâchés, bouclés ou en afro. Il fallait que mes cheveux soient constamment lissés ou (étant donné mon refus) attachés en chignon serré (ce qui excluait également les tresses). Mes collègues blanches, en revanche, avaient le droit de venir les cheveux lâchés, attachés en queue de cheveux, chignon, etc.

Autre exemple, en 2016 en Afrique du Sud, de jeunes écolières ont dû descendre dans la rue et manifester pour avoir le droit de porter leurs cheveux au naturel à l’école. Cela donne une dimension entièrement politique à quelque chose qui pourrait être pourtant considéré comme extrêmement trivial c’est-à-dire la manière dont vous portez vos cheveux. Mais profitons de ce passage pour attirer l’attention sur l’hypocrisie à double tranchant qui accompagne le mouvement nappy et dont j’ai été moi-même la première à m’en faire l’écho, avant de réaliser mon erreur. Exiger de la part des femmes noires d’être obligatoirement avec leurs cheveux naturels est tout aussi violent et hypocrite que d’exiger d’elles qu’elles lissent leurs cheveux à tout va. Dans un cas comme dans l’autre, on ne respecte pas leur droit de choisir. On ne respecte pas notre agentivité. Et si le mouvement nappy est parti d’une envie de contrecarrer une narration profondément anti-blackness, il ne doit pas pour autant devenir la nouvelle oppression des femmes noires.(**)

L’amertume de l’homme noir

En dehors de la beauté, le dénigrement des femmes noires va profondément s’enraciner également sur leur soi-disant responsabilité dans l’échec des communautés noires. Là je vais m’intéresser plus particulièrement à la littérature qui a été produite après la période esclavagiste. Tout d’abord, histoire de casser un peu les mythes et méconnaissances sur le sujet, il n’y a pas eu l’esclavage et ensuite, “liberté, égalité pour tous”. Plusieurs personnes sont capables de parler de ségrégation dans le contexte des USA mais peu connaissent la période historique ayant suivi l’esclavage dans le cadre de l’Europe ou encore des anciennes (et pour certaines toujours avec ce même statut) de colonies. Après l’esclavage, il y a eu non seulement des vagues d’incarcérations, mais aussi des mesures discriminantes, mises en place ou renforcées, pour s’assurer de maintenir le dessus sur une main d’oeuvre peu chère et littéralement « disposable ».

Le système va ainsi continuer de briser les cellules familiales par des manières plus insidieuses : les peines de prison, l’instabilité financière, la précarité, la violence, les traitements différenciés… On ne le répétera jamais assez mais là discrimination tue ! Lorsqu’un individu n’est pas en mesure de subvenir à ses besoins, parce que discriminé à l’embauche, qu’il n’est pas en mesure d’avoir un toit pour les siens ou pour lui-même parce que discriminé au logement, qu’il n’est pas en mesure de recevoir des soins médicaux appropriés parce que discriminé par l’institution médicale, etc… cela peut/va jusqu’à avoir des conséquences létales. Or dans ce contexte, il faut également noter les conditions sociales dans lesquelles se retrouvent à survivre et lutter les femmes noires. Sur le marché du travail, elles ont moins de difficulté à trouver un emploi que les hommes noirs mais ce sont des emplois non qualifiés, précaires, mal rémunérés, dont les conditions sont déplorables et des emplois peu reconnus socialement. Du travail de nounous ou encore de femmes de ménage, de services d’aide à la personne, en passant par les usines… contrairement aux femmes blanches bourgeoises, dont le combat féministe se centre autour du droit de quitter le foyer pour entrer sur le marché du travail, les femmes noires, elles, ont toujours été sur le marché du travail et ont dû (et doivent toujours) lutter pour avoir de meilleurs conditions de travail.

Ainsi, quoique peu considérées et souvent reléguées à la dernière place de la hiérarchie sociale, les femmes noires ont la possibilité d’assurer une rentrée d’argent dans un contexte où les hommes noirs sont durement touchés par le chômage et la précarité salariale. Dans le contexte des familles noires, cela signifie que les femmes sont majoritairement le pilier financier du foyer. Ou encore sont mères célibataires et la seule permanence financière. On se retrouve donc dans des situations avec les populations noires, plus touchées par la pauvreté, y compris et surtout les femmes noires, sont beaucoup plus dépendantes des aides de l’État. Or c’est aussi dans ce contexte que l’on va accuser publiquement les femmes noires d’être les responsables principales du cycle de pauvreté des familles noires. En jouant sur l’amertume des hommes noirs face à un système qui leur dénigre le droit à la masculinité normative (c’est-à-dire la possibilité d’être “l’homme de la maison”, qui assure les rentrées d’argents, permet à sa femme de rester au foyer et élever ses enfants etc) on va pointer du doigt les femmes noires comme l’ennemi public numéro 1. Un cercle pervers s’installe et se maintient.

(suite : https://neoquebec.com/artists-news/pourquoi-les-athletes-noirs-ne-sortent-quavec-des-femmes-blanches-suite-fin/ )

(*) Cet article est issu d’une chronique publiée sur la page facebook de NeoQuébec. 
Disponible en vidéo ICI. Il est écrit afin de compléter la chronique et n’en retrace 
donc pas exactement tous les propos.

(**) Et j’en ferai probablement un article plus détaillé dès que possible.

(c) Jade Almeida – NeoQuébec – mai 2018

One Response

Ajouter votre commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont marqués *