C’est à l’âge de 7 ans que la native de Rio découvre l’univers du reggae, grâce aux radiolas de São Luís do Maranhão, ville natale de sa mère. De ces énormes murs de sons émanaient des rythmes reggae de Bob Marley, d’Abyssinians, de Barrington Levy, entre autres. « Le reggae, comme toutes les autres musiques de ma vie, s’est invité en moi sans que je ne m’en rende compte vraiment ».
13h15. Bureaux de Nuits d’Afrique sur le boulevard St-Laurent.
C’est ainsi qu’a débuté mon entrevue avec Flavia Coelho, quelques heures avant son show, alors que nous avions rendez-vous dans les locaux de Nuits d’Afrique, sur le Plateau Mont-Royal. Lunettes fumées, cheveux roses et rouge à lèvres vif, nous nous installons sur un divan ensoleillé dont les couleurs se mariaient parfaitement avec celles de la veste de l’artiste. Lorsque je lui dis que j’ai appris le portugais à Fortaleza, dans l’État du Céara, elle s’exclame : « C’est de là que vient mon père ! ».
Ce que je ne vous ai pas dit, c’est que je suis une grande fan de l’artiste que j’étais sur le point d’interviewer. Je suis sa carrière depuis plusieurs années déjà, probablement quelques années avant son duo avec Gaël Faye, Balade brésilienne. J’en ai d’ailleurs profité pour lui demander de me raconter sa rencontre avec cet artiste franco-rwandais que j’admire énormément.
25 minutes plus-tard, c’est déjà le temps de conclure l’entrevue, mais avant de terminer, Flavia m’invite à chanter un morceau avec elle en amharique (langue parlée en Éthiopie) lors de son show, ce que j’accepte sans hésiter.
21h30. Au Ministère. Toujours sur le boulevard St-Laurent
La plus française des Brésilien.ne.s est arrivée sur scène vêtue d’une veste noire, en dessous de laquelle elle portait une combinaison sportive moulante fluo, des gants sans doigts en résille noirs, des chaussures blanches aux talons compensés, bref tous les ingrédients nécessaires pour « Illuminar » le Ministère, titre de son featuring avec Synapson. La veste a très vite été mise de côté, la température de la salle augmentant de manière exponentielle. Victor Vagh, son producteur, était à la fois au clavier, au mélodica et à la batterie électronique, passant de l’un à l’autre, tout naturellement.
La formule du soundsystem proposé par la chanteuse n’est pas que jamaïcaine ou brésilienne. En effet, elle fusionne le monde de l’électro, de la house, de la techno qu’elle a longtemps côtoyé, avec ses morceaux plutôt acoustiques, avec guitares et percussions, aux rythmes venant d’Afrique et d’Amérique du Sud. Le public, majoritairement français, a donc eu droit à des chansons de son répertoire revisités par des producteurs et DJ venant des quatre coins du monde : Tom Fire de France, Ghislain Poirier du Québec, Mo Laudi d’Afrique du Sud, David Walters des Antilles françaises et Prince Fatty de l’Angleterre. Le tout combiné aux classiques de reggae qui ont justement bercé son enfance.
Dès les premières notes de Sunshine, la foule se déchaine, prête pour ce qui allait devenir une grosse fête, plutôt qu’un spectacle. S’en est suivie la reprise de la fameuse chanson No no no, de Dawn Penn qui a visiblement plu aux nostalgiques de cette époque.
Ses interactions multiples avec le public prenaient des allures de chants improvisés, toujours avec une petite touche d’humour. « Je viens du pays de Kylian Mbappé, de Pogba. Ce pays qu’on appelle la France !», affirme-t-elle. Au-delà de ses talents de musicienne, elle est également une excellente danseuse, mêlant des pas de samba et de baile funk à ses petites chorégraphies.
« Je vais vous apprendre comment passer les douanes du Brésil. Il faut danser le baile funk », dit-elle en faisant une démonstration. « On commence par un roulement de hanches, ensuite il faut lever les mains en l’air, et finalement il faut bouger les fesses ! »
Troquant le patois jamaïcain par le portugais à certaines reprises, la chanteuse revisitait à son tour les plus grands classiques de reggae, avant d’entonner ses plus grands succès Por Cima ou encore Django, aux sonorités africaines, au grand plaisir de son audience.
D’ailleurs, son plus récent opus DNA, qualifié de l’album le plus personnel et à la fois le plus universel, retrace le point de départ pour Flavia. « Mon vrai ADN, je l’ai découvert quand je suis allée sur le continent africain, plus précisément dans les pays où l’on parle portugais ». C’est en arrivant au Mozambique et au Cap Vert qu’elle a ressenti la force du métissage, et l’ADN représente le début de tout. À la base, l’album devait porter uniquement sur le métissage. Cependant, cette période coïncidait avec l’arrivée de l’extrême droite au Brésil en 2018, ce qui a poussé l’artiste à parler des malaises qui existaient dans son pays natal et de la situation sociale et politique.
Mon moment fort de la soirée fut lorsqu’elle m’a invitée sur scène sur la chanson Murder She Wrote, de Chaka Demus & Pliers. Pensant pouvoir improviser en amharique facilement, une fois sur scène devant la salle comble, la seule langue qui me venait en tête était l’anglais. Mais quel bonheur de partager la scène le temps de quelques minutes avec une de tes idoles !
Tous les âges étaient représentés dans la salle, allant du troisième âge aux jeunes adultes dans la vingtaine. Par moments, j’avais l’impression d’être dans une discothèque avec pour bonus, une chanteuse live. À la fin du concert, un homme dans la soixantaine passe devant moi complètement en sueur. Remarquant mon regard insistant, il me dit : « Je n’ai jamais autant dansé, je ne me suis pas arrêté de tout le show. Ça m’avait tellement manqué de danser comme ça ! » À quoi j’ai acquiescé.
Pendant la pandémie, les livres ont tenu compagnie à Flavia. « La lecture, c’est le point de départ pour la parole. Pour moi, depuis le début, parler français c’était très important parce que ça faisait partie de mon indépendance en fait. » Et pour souligner les dix années de carrière en France (2011-2021), elle a réalisé un podcast en sept épisodes dans lequel elle partage son véritable parcours depuis son arrivée à Charles de Gaule un 21 juin 2006, jour de la fête de la musique. « À travers mon podcast, je voulais donner de l’espoir et dire que tout est possible lorsqu’on a des rêves. » Ce podcast lui a permis par la suite de décrocher une collaboration avec Ted X, ajoutant ainsi la corde de speaker à son arc.
Un autre projet pandémique fut les Lives de la raison, nés à la suite des fermetures de bars au printemps 2020. Profitant de ce moment d’incertitude pour faire du bien à ses fans, elle lance l’idée d’un live tous les soirs, à l’heure de l’apéro. Au total, ils ont donné 46 concerts pendant 46 jours, entre 19h et 19h30. Un moment de partage et une façon de remercier les personnes qui l’ont suivie tout au long de sa carrière. Autre indicateur du grand coeur de l’artiste.
Lorsqu’elle fait une lecture de ce qui se passe au Brésil, à l’approche des élections présidentielles, elle constate : « Comme partout dans le monde, les gens ont un problème avec la mémoire. Ils ont oublié qu’en 1964, il y a eu une dictature qui a duré 26 ans. Il n’y pas de raison qu’on retourne là-dedans. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une dictature, mais il y a quand même une odeur, d’enfermement, de censure, de prise de parole qui étouffe la parole des autres. » Elle espère qu’il y aura une prise de conscience collective, pour que les gens voient le Brésil tel qu’il est en vérité. Un grand pays, riche comme tout.
« Et ça c’est, et ça c’est, et ça c’est la bonne nouvelle ! »
Flavia Coelho est encore dans le pays pour quelques jours. Elle sera au MTelus comme invitée pour le spectacle de Ibrahim Maalouf, avec lequel il ira ensuite à Québec et Toronto.
Pour plus d’infos : Ibrahim Maalouf, Festival De Jazz De Montreal, and Flavia Coelho Montreal Tickets, MTELUS, 23 Sep 2022 – Songkick
(c) Sandra Gasana – Neoquébec (Sept. 2022)