L’athlète australienne, la tête penchée en arrière, a fermé les yeux. Les doigts pleins de mousse, la jeune coiffeuse masse doucement le crâne qui s’est livré. Jennifer Letort exécute son cinquième soin depuis 9 heures, mercredi 24 juillet. En levant les yeux, la jeune femme aperçoit la queue de maillots sud africains et espagnols, hommes et femmes, qui s’est formée à l’entrée du salon de coiffure du village olympique, à Saint-Denis. On est à deux jours de la cérémonie et le local aménagé par Procter & Gamble, sponsor de Paris 2024, ne désemplit pas. Les sportifs qui vont participer ou assister au défilé sur la Seine sont venus soigner leur apparence.
Le salon spacieux avec ses espaces coiffure homme, femme et onglerie, est installé sur la « plazza », cœur battant du lieu de résidence des athlètes. Des transats ont été disposés devant un écran de retransmission des épreuves, en bord de Seine. Sur la passerelle qui permet d’accéder à l’autre partie du village, côté Ile-Saint-Denis, un va-et-vient incessant de polos et shorts bleus, verts, jaunes ou rouges. Dans une atmosphère animée par un tube de Jay-Z et Kanye West en sourdine, les neuf professionnels tournent autour de leur fauteuil en skaï noir.
Jennifer lisse les mèches d’une rugbywoman en silence. Un sourire et c’est à la suivante, une handballeuse. « On a un peu plus de femmes depuis deux jours qui viennent pour un shampoing et un séchage après leur entraînement. Mais avant, c’était beaucoup des rugbymen et footballeurs qui voulaient un rafraîchissement de leur coupe. Des jeunes surtout, qui font attention à leur look « , explique-t-elle. A côté d’elle, un jeune sportif se prend en selfie, une fois sa coupe, un taper fade (dégradé en fondu), terminée.
Beaucoup d’athlètes All Blacks (neo-zélandais)
A 25 ans, la jeune professionnelle a été sélectionnée par Raphaël Perrier, le coiffeur événementiel qui gère le lieu. Habituée à enchaîner les concours professionnels depuis dix ans, Jennifer est une spécialiste du wave style (coiffure afro en formes de vagues serrées) et des chignons romantiques, mais aussi championne du monde par équipe. À Saint-Denis, ce sont surtout des tresses et queues-de-cheval qu’elle façonne, « pour que les athlètes soient à l’aise à l’entraînement et lors des compétitions « .
Ses longs cheveux remontés hauts sur son crâne, grandes lunettes, un piercing dans les gencives, la coiffeuse se dit « super fière« . Les journées sont longues mais joyeuses, dit-elle dans son uniforme noir. « On travaille dur, à un rythme très soutenu mais on voit défiler la terre entière, athlètes, médias, bénévoles… ». Elle avoue cependant qu’elle ne reconnaît pas, la plupart du temps, les stars qui viennent s’asseoir dans son fauteuil. « J’ai eu beaucoup d’All Blacks, ceux-là, on les repère ! »
La jeune femme n’était pas destinée aux paillettes. Née à Plounévez-Moëdec, une petite commune rurale des Côtes-d’Armor, elle a été élevée par une mère ambulancière et un beau-père couvreur qui l’ont encouragée quand elle a décidé de se lancer dans des concours techniques pour exercer dans la coiffure haut de gamme. CAP, bac pro, brevet de maîtrise, elle enchaîne toutes les formations du secteur pour avoir une chance de pénétrer ce monde d’excellence où on manie ciseaux et rasoirs pour les défilés, les plateaux de théâtre et studios de photos.
» Ici, il faut s’adapter et se faire comprendre « , lâche-t-elle dans un sourire timide en accueillant une jeune athlète anglophone. Elle lui tend le look book du salon pour tenter de comprendre ce qu’elle cherche. La jeune coiffeuse s’excuse en racontant qu’elle essaie d’améliorer son anglais avec l’application Duolingo durant l’heure de transport qu’elle prend quotidiennement pour rentrer à Gennevilliers, où elle partage un logement avec deux collègues.
Ce sera juste un soin et des pointes à rafraîchir, finit-elle par saisir, quand, soudain, surgit un rugbyman sud-africain. C’est Cecil Afrika, ancienne star du rugby à VII, qui, avec un grand sourire, lui montre sa tête tressée par une collègue. « Wow it’s beautiful ! » lui dit-elle. Ajoutant en aparté : « Il est venu déjà deux fois pour que je lui fasse un soin. « .
(source : Le Monde / Sylvia Zappi)
(c) Neoquébec – Juil 2024