L’Université Concordia, à Montréal, a présenté il y a quelques jours – le 28 octobre 2022 – des excuses officielles aux communautés noires pour les préjudices causés par le » racisme institutionnel « , et en particulier pour les événements qui ont conduit à une » émeute raciale » en son sein en1969.
Le recteur et vice-chancelier de l’université, Graham Carr, a déclaré que la réflexion sur l’histoire du racisme qu’ont vécu les Noirs dans cet établissement était attendue depuis longtemps et qu’elle était nécessaire pour aller de l’avant. Tout en reconnaissant que ce racisme était encore persistant : » Nous devons également faire le point sur les effets tenaces que ce racisme sytémique exerce sur les memres de l’effectif étudiant et le scommunautés au-delà des murs de l’Université« .
Pour Angélique Willkie, présidente du groupe de travail de Concordia sur le racisme contre les Noirs, le rapport constitue un moyen de donner une voix aux communautés noires de Concordia et de reconnaître leurs priorités et leurs expériences : » Il est important que tout ce qui se passe au sein de l’université reflète ce qui existe à l’extérieur en termes de thèmes importants et de représentation. Pour moi, il s’agit de relier tout ça. »
Le texte intégral sur les excuses de l’Université Concordia, écrite par Graham Carr –Recteur et Vice-chancellier
Université Concordia
» Le travail réalisé par le groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs nous a menés à nous pencher sur l’histoire de l’Université Concordia de même que sur les relations entre ses établissements fondateurs — la Sir George Williams University et le Loyola College — et les communautés noires.
Nous sommes résolus à porter un regard honnête sur notre passé en tant qu’établissement afin de bâtir la confiance et d’ouvrir la voie vers un avenir meilleur.
Pour Concordia, cela commence par une démarche essentielle : aborder directement la question de la manifestation étudiante qui a eu lieu à la Sir George Williams University en 1969 et ses répercussions.
La manifestation a éclaté suite à des plaintes pour discrimination à motivation raciale contre un professeur de l’Université par six étudiants noirs et des Caraïbes. Ces plaintes ont été largement négligées, mal gérées et rejetées. Pendant des mois, les étudiants ont cherché à se faire entendre par divers moyens, mais se sont heurtés à une inaction de la part de l’Université, qui affirmait que leurs plaintes n’étaient pas légitimes.
L’Université refusant toujours, près d’un an plus tard, de prendre en considération les préoccupations des étudiants noirs quant au racisme qu’ils subissaient, un important groupe d’étudiants a décidé d’occuper le laboratoire informatique de l’Université ainsi qu’une salle des professeurs pour attirer l’attention sur la situation.
La manifestation a propulsé au premier plan la question du racisme institutionnel au sein de l’Université. Elle a également galvanisé des gens bien au-delà des murs de l’établissement, à Montréal et dans le reste du Canada, à une époque où des mouvements de protestation contre l’injustice raciale et sociale voyaient le jour partout dans le monde.
En réponse à l’occupation du pavillon Hall, la direction de l’Université a appelé la police. Cette décision a mené à l’arrestation — parfois violente — de 97 membres de l’effectif étudiant. Ces arrestations ainsi que la neutralisation de la manifestation ont eu des conséquences graves et persistantes sur la vie de nombreuses personnes. Des peines d’emprisonnement, des expulsions, des traumatismes psychologiques, des blessures physiques, des pertes d’emploi, l’aliénation sociale et l’interruption – voire l’abandon – d’études universitaires.
Malheureusement, les mesures prises par l’Université, tout autant que son inaction, témoignaient sans équivoque de l’existence d’un racisme institutionnel. Ce comportement a eu de vastes conséquences négatives dans les communautés noires non seulement à Montréal, mais aussi ailleurs dans le monde – en particulier dans les Caraïbes, d’où venaient plusieurs des étudiants impliqués dans la manifestation de la Sir George Williams University.
L’Université Concordia, avec le soutien de son conseil d’administration, s’excuse pour les décisions et les mesures prises par la direction de l’Université à l’époque. Nous nous excusons également pour le préjudice causé aux membres noirs de l’effectif étudiant à l’Université ainsi que pour les répercussions négatives de ces événements sur les communautés noires à Montréal et ailleurs. Nous reconnaissons les conséquences graves et souvent désastreuses des mesures prises par l’Université à l’époque, et leurs répercussions persistantes au fil des ans.
En outre, nous regrettons profondément notre silence au fil des décennies qui ont suivi la manifestation. Ce silence a participé à la fragilisation de la confiance ainsi qu’à la rupture des liens entre l’Université Concordia et les communautés noires. Il n’aurait pas dû falloir plus de 50 ans pour reconnaître les erreurs qui ont été commises à cette époque.
Aujourd’hui, nous devons reconnaître la façon dont le racisme institutionnel se manifeste, non seulement dans une perspective historique, mais aussi dans la réalité actuelle de nos systèmes éducatifs, y compris dans l’enseignement supérieur. Nous devons également faire le point sur les effets tenaces que ce racisme systémique exerce sur les membres de l’effectif étudiant et les communautés au-delà des murs de l’Université. Nous devons veiller résolument à ce que le racisme institutionnel soit dénoncé afin que des événements comme ceux de 1969 ne se reproduisent pas.
Pour Concordia, la prise de conscience au sujet de son rôle dans ces événements est une étape nécessaire, qui n’a que trop tardé. Mais il ne s’agit pas d’une fin en soi. Oui, ces excuses publiques découlent de notre besoin de remettre en question les idéologies et les actions du passé. Elles nous obligent à mieux agir et témoignent de notre engagement à nous efforcer, chaque jour, de former une communauté à l’égard de laquelle tous peuvent éprouver un sentiment d’appartenance, où les expériences de chacune et chacun sont considérées comme légitimes, et où, par conséquent, nous pouvons tous réaliser notre plein potentiel.
Le groupe de travail du recteur sur le racisme contre les Noirs a dressé une liste de mesures significatives et concrètes qui nous guideront sur cette voie à l’avenir. Ces deux dernières années, le groupe de travail a œuvré afin d’élaborer des recommandations ancrées dans les expériences vécues par les employés, professeurs, étudiants et diplômés noirs. Les mesures proposées par le groupe de travail concernent la plupart des aspects de la vie universitaire. Elles visent à améliorer notre gouvernance et nos politiques, à promouvoir l’excellence universitaire, à favoriser une communauté universitaire au sein de laquelle les membres noirs de l’effectif étudiant peuvent s’épanouir, et à soutenir les membres noirs du corps professoral et du personnel. Elles visent en outre à valoriser les savoirs noirs et à favoriser des relations mutuellement bénéfiques avec les communautés noires au-delà de l’Université.
Nous nous attelons maintenant à la tâche considérable de me mettre en œuvre ces recommandations et de renforcer nos relations avec les communautés noires, sur le campus et à Montréal. Par la présente déclaration, nous sollicitons la participation de tous les membres de la communauté de Concordia à nos efforts pour bâtir une communauté plus équitable et plus juste. »
Addendum :
La manifestation de 1969 à l’Université Sir George Williams est le soulèment étudiant le plus explosif dans l’histoire du Canada.
Au printemps 1968, un groupe d’étudiants originaires des Caraïbes soupçonne un de leurs professeurs de biologie, Perry Anderson de racisme. Selon eux, le professeur pratique de la discrimination raciale au point d’attribuer systématiquement des échecs aux étudiants noirs. Un groupe de six d’entre eux porte plainte à la direction. Malgré une plainte officielle et des protestations de toutes sortes, la direction n’agit pas. En janvier 1969, leur plainte est rejetée et quelque 200 manifestants (dont des étudiants blancs) décident d’occuper les locaux informatiques au neuvième étage de l’édifice, et de se barricader pour protester contre la décision de l’établissement.
Le 11 février 1969, la police antiémeute vient mettre fin à la révolte étudiante. Un feu se déclare dans le local où sont enfermés les protestataires. Dans la rue, il y a les sympathisants au groupe étudiant et… les autres qui crient : » Send the n back home »», « Let the n burn ! »… Les étudiants seront arrêtés, emprisonnés et, certains, renvoyés dans leur pays d’origine.
Cette affaire a fait l’objet de plusieurs pièces de théatre, mais aussi de documentaires dont le célèbre Ninth Floor (https://www.primevideo.com/detail/amzn1.dv.gti.b8b0e570-fc76-9668-c6c9-673f472c950c/ref=atv_nb_lcl_fr_FR?ie=UTF8&autoplay=0 ).
Aussi Nantali Indongo, musicienne, militante et journaliste, fille de l’un des protagonistes, Kennedy Frederick, en parle dans cette video : https://youtu.be/q1jfnRBLxEw?list=PLWV34SIdxcvyEi_p_4crgCH7TlMxNiouR
(c) Neoquébec – Oct 2022