Toutes ces années après une initiative similaire en 1995, la sensibilité, la fluidité et la nature délicate de l’identité semblent encore mal comprises.
En 1995, le gouvernement du Québec a lancé une campagne publicitaire intitulée « le coeur québécois ». L’une de ses publicités mettait en scène une jeune femme d’origine asiatique et le texte se lisait comme suit : « les yeux en amandes, le coeur québécois » – des yeux en amandes, un coeur québécois. Je me souviens de la grogne, la mienne et celle des autres. Dans son essai de 2011 La plume bifide, le cœur québécois. L’usage de l’anglais chez les écrivains québécois francophones, Thomas C. Spear a fait un zoom sur l’origine du mécontentement en écrivant que la campagne était ambiguë en raison de la confusion quant à son public cible. Il s’est également demandé si la virgule dans la copie signalait l’inclusivité ou une distinction entre les immigrants et les autres Québécois.
En décembre de l’année dernière, le Groupe d’action contre le racisme du gouvernement du Québec a publié son rapport Racisme au Québec : Tolérance zéro. Il s’agit d’un plan d’action qui met en évidence 25 éléments que le gouvernement cherche à réaliser. L’une d’elles était la nomination d’un ministre chargé de la lutte contre le racisme. Le gouvernement a réagi rapidement, en nommant le ministre de l’Environnement Benoît Charette à ce poste nouvellement créé à peine deux mois plus tard.
Le rapport recommandait également l’élaboration d’une campagne permanente de sensibilisation à la lutte contre le racisme. Il y a un peu plus de deux semaines, le gouvernement québécois a lancé la première phase d’une campagne publicitaire visant à mettre fin aux préjugés raciaux. Dès son apparition sur le web, dans les quotidiens et sur nos écrans de télévision, les sourcils se sont levés. « Au Québec, un groupe de jeunes Noirs réunis dans un parc la nuit s’appelle… des amis« , dit la voix off d’une des publicités en anglais. Dans la version française, ces jeunes Noirs sont toujours des amis, mais le narrateur précise qu’il s’agit » des amis québécois « , des amis qui sont Québécois. Le mot « Québécois », son absence en anglais, sa présence en français, a laissé bien des gens des deux solitudes mécontents.
Si vous vivez au Québec, vous êtes un Québécois. Cela ne devrait rien avoir à voir avec la langue, la race, la croyance, la religion ou le lieu de naissance, et vivre ici signifie également que nous sommes beaucoup de choses à la fois et que nous ne pouvons pas être catalogués. C’est peut-être le manque de reconnaissance de ces réalités par la campagne qui a irrité tant d’entre nous. Nous avions le sentiment que trop peu de progrès avaient été réalisés depuis 1995 et que, toutes ces années plus tard, la sensibilité, la fluidité et la nature délicate de l’identité semblaient encore mal comprises.
Je vois de la bonne foi dans le plan d’action en 25 points du gouvernement et je crois que les personnes chargées de l’exécuter ont de bonnes intentions. Mais tant que le gouvernement ne reconnaîtra pas l’existence d’un racisme systémique, un certain scepticisme planera toujours. La persistance parfois créative du gouvernement de la Coalition Avenir Québec à refuser de reconnaître le racisme systémique est un contrepoids inutile à ce qui semble être un plan solide dans l’ensemble.
Il n’est jamais trop tard pour faire ce qu’il faut, et les gens ont le droit de changer d’avis. Les bons leaders le savent. En 2012, le président américain de l’époque, Barack Obama, a changé sa position sur l’égalité du mariage. « Je pense que les couples de même sexe devraient pouvoir se marier« , a-t-il déclaré à la journaliste Robin Roberts. Quelques mois plus tard, dans une interview avec George Stephanopoulos, Obama a ajouté : « Je pense que, les attitudes américaines ont évolué, tout comme les miennes, de manière assez substantielle et assez rapide, et je pense que c’est une bonne chose. »
Le rapport Racisme au Québec : Tolérance zéro a un calendrier d’exécution de cinq ans, ce qui est une bonne chose. Combattre un fléau comme le racisme est un marathon, pas un sprint. Et savoir où se trouve la ligne de départ semble aussi primordial que de savoir où se trouve la ligne d’arrivée, même si les opinions sur la façon d’y parvenir peuvent différer. Le moment n’a jamais été aussi propice pour que la vision du gouvernement sur le racisme systémique évolue et que nous soyons tous dans la même course.
Martine St-Victor est directrice générale d’Edelman Montréal et commentatrice média. Instagram et Twitter : martinemontreal
(source : Montreal Gazette / Trad. libre de NeoQuébec)
(c) Neoquébec – Dec. 2021