La santé mentale et ses traitements sont tabous dans les communautés noires mais il semble que le sujet arrive petit à petit à recevoir une certaine attention. Au cours des deux dernières années, plusieurs évènements (rencontres, discussions…) autour de cet enjeu se sont tenus. De plus, de nombreux posts, articles et vidéos ont été mis en ligne et relayés par les réseaux sociaux depuis. Mais, il y a un aspect, un angle d’approche différent qui ne reçoit pas tant d’attention ou d’intérêt dans les discours grands publics : le racisme et son impact direct sur la santé mentale. Non pas le racisme tel que déployé par les institutions, notamment médicales, mais bien de quelle manière « naviguer » dans une société structurellement hiérarchisée par la race, en tant que personne noire, affecte la santé.
D’ailleurs, à ce sujet, une étude a été réalisée aux États-Unis sur la promotion « 1970 » de l’université de Yale (*). Cette étude, unique en son genre, consistait à identifier qui, au sein de la promotion, était encore en vie et qui était décédé.e. L’idée était de prendre un bassin de population issu globalement du même contexte socio-économique et de comparer leur espérance de vie. En effet, même si en tant que société l’on aime se concentrer sur les success stories, en réalité, les parcours de vie des individus, des plus riches au plus pauvres, restent très largement les mêmes sur plusieurs générations. Ainsi en sélectionnant une prestigieuse université, l’équipe de recherche se retrouvait avec des candidats ayant globalement le même type de background et le même type de carrière établie devant eux.
En dépit de la similitude des profils, le constat est très vite apparu : une grande majorité des étudiant.e.s noir.e.s de cette promotion était d’ores et déjà décédé.e.s. À tel point que l’écart de vie entre les étudiant.e.s blanc.he.s et les étudiant.e.s noir.e.s s’élevait à un niveau de décès 3 fois plus élevé. Surprise par cette différence extrêmement marquée, l’équipe de recherche a élargie la population de l’étude en comparant l’espérance de vie entre étudiant.e.s noire.e.s diplômé.e.s de Yale et étudiant.e.s blanc.he.s ayant abandonné l’école en cours de route. Résultat ? L’écart se vérifie à nouveau avec une différence de mortalité toujours aussi grande en faveur des érudiant.e.s blanc.he.s. Comparé même avec des élèves blanc.he.s ayant juste un diplôme moins élevé, les diplômé.e.s universitaires noir.e.s meurent plus tôt.
D’où la question : que se passe-t-il ?
La 1ère dimension que l’équipe examine est celle de l’impact du racisme du côté institutionnel. Comme prouvé, les populations racisées sont moins bien traitées au sein des milieux médicaux : les professionnel.les de la santé ont tendance à minimiser les symptômes, à prescrire moins de médicaments, à retenir moins longtemps à l’hôpital, à donner des soins de moins bonne qualité, etc.. aux personnes racisées. Cette différence de traitement a pour conséquence directe de raccourcir l’espérance de vie des personnes racisées. Néanmoins, si ce facteur est pris en compte dans l’étude, il est toutefois considéré comme insuffisant pour expliquer entièrement l’écart souligné. En effet, une grosse majorité de ces individus fait partie d’une classe sociale élevée, ce qui en soi leur permet de compenser quelque peu par un accès au secteur médical privé. De plus cela n’explique pas non plus la tendance des populations noir.e.s a développé plus de problèmes de santé, à un âge plus jeune, que le reste des étudiant.e.s et ce dans le même type d’environnement de vie.
La réponse se trouve dans le racisme en tant que tel. L’équipe de recherche va ainsi estimer que le fait même de vivre dans une société où, en tant que personne racisée l’on vous subit des micros et macros agressions continuellement, cela a un impact direct sur la santé de manière très négative. En effet, le stress provoqué par un environnement hostile et le fait d’être perpétuellement « sur vos gardes », a des conséquences sur le corps et le mental. Les effets physiques sont extrêmement larges puisque le stress attaque directement votre corps : pression sanguine plus élevée, plus grand risque d’ulcère, plus grandes difficultés à vous relaxer, des troubles du sommeil, de l’appétit… et les conséquences sont variées allant de maladies cardio-vasculaires, à l’ulcère, voire des cancers. (**)
Et quels effets sur la santé mentale ?
Ce n’est que récemment que des études (***) ont commencé à s’intéresser sur l’impact mental occasionné par la discrimination et le racisme. Les recherches soulignent ainsi que les personnes racisées développent de nombreux mécanismes de survie face aux discriminations notamment en étant constamment en « alerte ». Or, être sur ses gardes perpétuellement, en plus de devoir subir les conséquences de ces agressions, finit par avoir de lourdes conséquences à long terme Ainsi l’attente, la suspicion, l’angoisse, le fait de subir ou d’être témoin de discriminations, mais également la peur que son entourage en soi victime, le fait de vivre dans une société qui bombarde continuellement de discours et d’actes prouvant la réalité de ces peurs, a un effet catastrophique sur la santé mentale des personnes racisées. Elles développent une plus grande tendance à la dépression, à l’anxiété, à des troubles de l’alimentation, à tomber dans l’addiction de substances tel que la drogue ou l’alcool… Les personnes racisées ont un sens du futur très restreint, en d’autres termes elles se projettent plus difficilement dans l’avenir pour rester constamment en mode survie, etc.
Certain.e.s expert.e.s parlent même aujourd’hui d’utiliser les mêmes critères que pour les diagnostics de PTSD (Post Traumatic Stress Desorder) pour être capable de juger de la santé mentale des personnes racisées. Le PTSD est un diagnostic donné notamment lorsque des individus survivent, ou sont témoins, d’un trauma si intense que les effets se font encore sentir bien après que l’individu ne soit plus en danger immédiat. (Ex. le taux de PTSD est très élevé chez les personnes ayant survécu à des zones de guerre donc un contexte de vie où la violence est omniprésente et les risques constants.)
Actuellement, on a donc des professionnel.le.s de la santé mentale qui discutent pour établir et faire reconnaître un diagnostic appelé RBTS (Raced Based Traumatic Stress) soit le Stress Traumatique sur une Base Raciale en français. Au Canada, la Commission de la santé mentale a publié un rapport indiquant que la population noire canadienne est exposée à de plus grands facteurs de risques. L’étude entreprend d’ailleurs de lister tous les déterminants qui ont un impact négatif sur la santé : de la violence conjugale en passant par les activités criminelles ou encore la dangerosité de l’environnement de vie.
Il est toutefois intéressant de noter que le racisme n’est pas mentionné comme élément probant. Aussi simple que cela puisse paraître, considérer que le racisme a un impact sur la santé des personnes racisées, que ce soit physique et/ou mental, commence à peine à être considéré par les études scientifiques et médicales. Jusqu’à présent, seules étaient prises en compte les conséquences d’un comportement racialement motivé. Par exemple, les effets liés au fait d’être moins bien soigné à l’hôpital ou de se voir refuser un logement; or désormais il y a des données indiquant que le fait même de vivre dans une société qui vous est hostile est en soi un facteur aggravant. Au point que des professionnel.les de la santé déclenchent les sonnettes d’alarmes et encouragent la création de nouvelles terminologies ainsi que de nouvelles ressources pour mieux accompagner les populations ciblées. Car malheureusement une autre réalité est mise en avant par la littérature scientifique et soutenu par plusieurs témoignages : le milieu médical de la santé mentale n’est pas prêt pour les personnes racisées.
En effet, la santé mentale est encore un tabou au sein des communautés racisées, et il est important d’en parler, mais l’institution médicale leur a toujours fait défaut, et il faut l’aborder également. Lorsque des individus issus de la communauté noire cherchent de l’aide auprès de professionnel.le.s de la santé mentale, ce qu’ils trouvent, en général, est au mieux une incompréhension totale de leurs conditions de vie, au pire un déni complet. On a entendu et lu des histoires de practicien.ne.s refusant d’écouter leur patient.e quand il s’agissait de parler de racisme ou de discrimination, contredire constamment leurs témoignages, se montrer ouvertement raciste dans leurs diagnostics ou leurs appréciations de la situation. C’est oublier à quel point la violence d’une telle rencontre peut être dévastatrice pour une personne dans le besoin. À cela s’ajoute un manque de formation et d’outils spécifiques pour répondre à aux besoins des personnes racisées; mais aussi le refus de reconnaître la complexité et toute l’étendue de leurs expériences de vie. L’une des pistes de solution pourrait être une présence plus accrue de personnel.le.s qualifié.e.s noir.e.s dans le milieu de la santé mentale.
Peut-on être optimiste ?
Si l’on considère que les travaux mettant en lien racisme et santé mentale sont encore très récents; si l’on accepte d’avoir une discussion qui englobe toutes les facettes du problème, et non pas uniquement la stigmatisation des personnes racisées comme seul.e.s responsables du problème; si l’on aborde les enjeux de santé mentale en partant d’une réflexion rigoureuse sur le fonctionnement des institutions médicales ainsi qu’une conscientisation globale sur l’impact du racisme dans tous les domaines de notre vie… alors, oui, on peut être optimiste Encore faut-il que la société soit consciente de l’impact multidimensionnel du racisme et qu’un meilleur accompagnement des communautés racisées au sein de la société soit mis en place.
(*) Étude Yale : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4580597/?fbclid=IwAR2dSvk02F2BWFwMBODVaUytxoCXv0D8wdMqlz0tbqxzuiRqjBeB8gRDqJE
(**) Selon des statistiques, il y a plus de femmes noires atteintes de cancers de l’utérus et de cancers du sein aux Etats-unis.
(**) La plupart, pour ne pas dire toutes les ressources bibliographiques, sont en anglais et concernent les États-Unis d’Amérique. Il faudrait que ces études soient traduites, multipliées et étendues à d’autres sphères comme le Québec par exemple où un cas récent de « racisme et santé mentale » est paru dans les medias. (https://www.lapresse.ca/actualites/justice-et-faits-divers/actualites-judiciaires/201901/16/01-5211306-harcelement-au-travail-quand-le-racisme-rend-malade.php )
(c) Jade Almeida – NeoQuébec (2019)
Cet article est tiré de la chronique vidéo du même, disponible sur la page www.facebook.com/NeoQuebecom et sur mon site www.jadealmeida.com
[…] Au regard des dernières observations, la population racisée et notamment la population noire se trouve particulièrement affectée: Elle a ainsi 6 fois plus de chances de souffrir d’enjeux de santé mentale que le reste de la population, entraînant de la «dépression, l’anxiété, des troubles de l’alimentation, ou encore l’addiction de substance… […]