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Le marché du divertissement est-il le futur du développement de l’Afrique ?

Qu’est-ce que le marché du divertissement ? En quelques mots, l’on pourrait dire que c’est l’industrie qui gravite autour du cinéma, de la vidéo, de la musique et des jeux vidéo. C’est un marché qui est en croissance fulgurante et qui continuera de croître dans les trois prochaines années, surtout lorsqu’on parle des services de vidéos à la demande, comme Netflix ou Crave Tv. Le problème qui se pose cependant est que les marchés matures de ce secteur arrivent à saturation. Par exemple, il s’avèrerait que dans les pays développés (ex : EU, Suisse, le Canada), les dépenses moyennes par mois, par personne sont de plus de 2 000$ dans ce secteur et les analystes prévoient que d’ici 3 ans, la moyenne des dépenses dans ce secteur représentera environ 70% des dépenses mensuelles par personne. En comparaison, dans les pays en développement, les dépenses mensuelles par personne sont de 50$ par habitant dans le divertissement et en plus, les revenus de ce secteur proviennent d’une petite base de population.

Alors que les marchés « matures » deviennent saturés, les nouveaux marchés des pays en développement sont à développer et exploiter! Le rapport Perspectives from the Global Entertainment and Media Outlook 2017-2021 de la firme PricewaterhouseCoopers affirme que le futur du marché du divertissement se trouve sur le continent africain et que dans les prochaines années, seule l’Afrique pourra enregistrer une croissance importante dans ce secteur. On comprend ici le potentiel et l’opportunité que présentent les marchés dans les pays en développement, notamment dans les pays africains.

L’exemple du Nigéria

Le géant de l’Afrique de l’ouest est un bon exemple. Originalement connu pour être le second plus grand producteur de films et suivant un modèle « petits budgets, grande quantité de films produits », Nollywood a transformé son modèle afin de miser sur la qualité des films et leur production plutôt que la quantité et en allant chercher le soutien et l’attention de leur diaspora. Cette nouvelle approche leur a valu de développer leur industrie du divertissement de manière fulgurante, augmentant la valeur de l’industrie du film nigérian à 5,1 milliards de dollars. Combiné au secteur de la musique, l’industrie du divertissement nigériane s’évalue à 55 milliards de dollars. En 20 ans seulement et avec cette nouvelle approche, le Nigéria a pu doubler son PIB pour devenir en 2014 la plus grande économie africaine, devant l’Afrique du Sud. Il est à préciser que ce développement s’est fait avec presque aucun support gouvernemental, mais surtout par des petites organisations locales, l’implication du secteur privé et les investisseur.e.s africain.e.s, notamment dans des partenariats avec des investisseur.e.s sud-africain.e.s,  de même qu’avec le soutien de la diaspora qui a démontré un intérêt et appui clair et constant. Le Nigéria est également à saluer pour iRokoTv, aussi appelé le Netflix de l’Afrique, qui est une plateforme médiatique sur abonnement et sur laquelle on peut retrouver du contenu Nollywood et des séries télévisées originales. iRokoTv a pu se développer par un partenariat, entre autres avec des chaînes locales et sud-africaines, mais également en allant chercher du financement auprès de chaînes anglaises et françaises comme Canal+. Il est également à préciser que 55% des abonnements à cette plateforme proviennent de la diaspora.

Il faut cependant rester réaliste : même si l’Afrique connaîtra une croissance encore plus rapide par rapport au reste du monde dans ce secteur, le marché du divertissement seul ne suffira pas à financer le développement de l’Afrique; il représente cependant une source de revenus importante et de développements de partenariats qui pourront être réinvestis dans le développement du continent.

Considérant ceci, les nouvelles récentes de l’implantation plus importante de Netflix en Afrique dans les années à venir doivent faire réfléchir. Est-ce qu’il est vraiment profitable pour l’Afrique qu’elle vende sa culture et laisse la responsabilité à des mégas compagnies étrangères de la produire et la contrôler ?

En 2018, Netflix a fait connaître son intérêt grandissant pour le marché du divertissement africain. Déjà en 2016, après le Moyen-Orient et la Turqui, Netflix acquérait du contenu africain et a même installé un serveur au Nigéria pour faciliter le téléchargement du contenu sur les réseaux nigérians, réputés plus lents. En 2018, Netflix s’est impliqué dans la production du film nigérian Lionheart et de la série sud-africaine Queen Sono qui deviendront respectivement le premier film et la première série africaine produite par la plateforme de divertissement. La compagnie a également annoncé son intention de développer des liens avec l’Afrique et que l’équipe Netflix Europe regarde les possibilités d’avoir une bannière Netflix Afrique et de continuer d’acheter les droits sur des séries africaines.

Pearl Thusi, comédienne sud-africaine, héroine de Queen Solo

Pearl Thusi, comédienne sud-africaine, héroine de Queen Solo

 

Il faut toutefois préciser que lorsque Netflix arrive dans un pays, elle donne effectivement la plateforme aux productions locales et les fait effectivement rayonner à un public international, mais en revanche, c’est Netflix qui détient les droits et qui remporte le gros des profits engendrés par ces productions. Est-ce que Netflix apporte tant au continent africain sur le plan du développement et rayonnement de la culture ou n’est-ce pas plutôt Netflix, et les autres compagnies étrangères comme Amazon et Hulu qui ont besoin des marchés africains dans leur course folle aux profits ?

Veut-on vraiment que le développement de l’industrie du cinéma et de la télévision africaine passe par la privatisation de celle-ci par des multinationales étrangères qui récupèrent les profits ?

Netflix, un géant incontrôlable en Afrique ?

Netflix par exemple, c’est LE géant mondial américain du divertissement devant Walt Disney et Comcast (Universal Studio, NBC), présent dans 192 pays. Le chiffre d’affaires net de la compagnie était de 12 milliards US en 2017. C’est présentement la compagnie qui connaît la plus grande croissance en ce qui a trait du divertissement avec ses 117 millions d’abonné.e.s, dont 100 millions d’abonné.e.s payant.e.s. Au dernier trimestre de 2017, la compagnie comptait 8,3 millions de nouveaux abonné.e.s dont 6.36 provenaient de l’extérieur des États-Unis (*). Le contrôle et les revenus engendrés par le cinéma et la télévision mondialement reviennent dans les poches américaines. Et comme on l’a compris depuis fort longtemps, le cinéma et la télévision, entre autres, sont des outils puissants de propagande et de manipulation de sociétés complètes. C’est bien connu, qui contrôle les médias et la culture contrôle les esprits. L’ouverture du développement du divertissement africain aux méga compagnies étrangères ouvre donc la porte vers une forme de néocolonialisme, une possibilité de manipulation des mœurs et de mainmise sur la société africaine qui tente plutôt de se décoloniser, tant politiquement, qu’intellectuellement, que culturellement. Loin d’être parfaites, les sociétés africaines entrent justement dans cette discussion qui impose de réfléchir sur le genre de société et de valeurs que l’on veut développer pour nous-mêmes, sur le continent, avec le soutien de la diaspora, en se tournant et s’ancrant dans les valeurs africaines. Et la culture est un élément crucial au développement et rayonnement de ces valeurs sur le continent. Il en devient donc d’autant plus important que les médiums de diffusion et de contrôle de la culture soient détenus par les africain.e.s elleux-mêmes.

Aux vues donc de tout cela, l’Afrique ne peut pas baser son développement sur l’industrie du divertissement, malgré le fait que celle-ci soit en fulgurante croissance. Si ce secteur est développé, exploité et réinvesti par des entreprises ou des groupes africains (gouvernementaux, privés ou indépendants), le développement de ce marché pourra potentiellement contribuer grandement au développement du continent. De plus, dans la construction d’une société africaine postcoloniale, la culture devient un outil essentiel au rayonnement des valeurs africaines et du projet de société.

(*) Il faut préciser que malgré leur présence dans 192 pays, la tête dirigeante de la compagnie – équipe de direction et le Conseil d’administration – est exclusivement blanche à l’exception de Susan Rice, seule femme noire, afro-américaine.

(c) Chiakoun Yapi – Neoquébec (Janv. 2019)

 

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