Je pars du principe que… : Lettre pour les 8 355

« Je pars du principe que ce monde est sens dessus dessous, que des innocents se trouvent derrière des barreaux pendant que les vrais criminels se partagent en toute quiétude ce qu’il reste de richesses dans ce monde. ». C’est par cette entame que Rémy Paulin Twahirwa (*) porte son témoignage-cri du coeur face à la « nouvelle » approche des autorités canadiennes devant le drame que vivent certains de celles et ceux qui choisissent le Canada comme terre de refuge. Il sont certes ce qu’a pris our habitude de nommer  » Sans papiers », mais ce sont avant tout des « Ëtres humains » clame l’auteur du texte ci-dessous :

Je pars du principe que nous avons au pouvoir des femmes et des hommes corrompus ou qui le seront, que nous avons une démocratie bancale qui ne répond qu’à l’argent et aux spéculations populistes, et que lorsque nous exportons ce système au nom de la civilisation, c’est en omettant de dire que c’est exactement cette démocratie qui soutient des dictatures à travers le monde, que c’est cette démocratie qui pille l’Afrique, l’Amérique du Sud et l’Asie, que c’est cette démocratie qui est responsable des corps sans vie d’Oscar Alberto Martinez et de sa fille sur la rive du Rio Grande.

Je pars du principe que pendant que la planète se réchauffe et que rien n’est fait, que les hôpitaux et les écoles débordent et que rien n’est fait, que les écarts entre les riches et les pauvres augmentent et que rien n’est fait, nos gouvernements choisissent d’investir des millions de dollars dans la construction de prisons dans l’espoir de nous faire oublier la médiocrité de l’existence qu’ils nous obligent à mener.

Je pars du principe que lorsque le ministre Ralph Goodale parle de « sécurité » pour justifier la détention d’enfants, de pères et de mères de famille, il nous parle de cette même sécurité qui a servi à décimer les nations autochtones, puis à parquer celles qui restaient dans des « réserves ». Je pars du principe qu’il fait référence à cette sécurité qui a servi à concevoir la technologie génocidaire utilisée pour massacrer les Héréros et les Namas, puis, plus tard, à appliquer la « solution finale » aux peuples juifs. Je pars du principe que M. Goodale se réfère à cette sécurité qui a servi à larguer des bombes sur Hiroshima et Nagasaki et qui sert, aujourd’hui, à soutenir l’Arabie saoudite dans ses violations contre des civils au Yémen.

Je pars du principe que la sécurité dont nous parle M. Goodale est l’alibi des bourreaux humanistes.

Je pars du principe que, dans ce pays, lorsque vous n’êtes pas blanc, votre vie n’a pas la même valeur, ou n’en a pas du tout. C’est pour cette raison — et uniquement pour cette raison — que le sort funeste des migrants émeut si peu et même qu’il en ravit certains. L’évidence dont je parle ici et que plusieurs refusent de reconnaître, c’est celle qui empêche un M. Goodale, par exemple, de considérer un seul instant qu’il soit possible, au nom de la sécurité, d’enlever en plein jour, dans la rue ou à leur résidence, environ quatre mille personnes blanches pour les placer en détention sans jamais leur dire si et quand elles pourraient retourner chez elles (et nous parlons ici de la moitié du nombre de prisonniers migrants en 2018). Mais ce n’est pas la même chose, direz-vous. Ah bon, et pourquoi ?

Je pars du principe que ce à quoi nous assistons n’est pas une question légale, mais morale. Il s’agit de savoir si nous, en tant que société, voulons nous raccrocher à l’illusion de notre innocence ou si, au contraire, nous sommes prêts à accepter notre responsabilité face à l’état du monde et à agir en conséquence.

Je pars du principe que ma famille et moi avons immigré au Canada, en 1994, non pour voler des emplois ou pour augmenter le taux de criminalité, mais pour fuir la folie meurtrière du génocide rwandais. Je pars du principe que si nous voulons sauver ce monde avant qu’il ne soit trop tard, il nous faudra abolir les frontières et l’appareil carcéral qui les gouvernent. Il nous faudra voir dans chacune des personnes qui traverse une frontière ce qu’elle est réellement : un être humain.

*8 355 : Selon les données de l’Agence des services frontaliers du Canada, c’est le nombre de personnes qui ont été détenues par le Canada pour la période 2017-2018.

(c) Neoquébec – Août 2019

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