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Québec : De l’importance de la diversité sur les CA des sociétés d’État

Le 29 juillet dernier, dans une entrevue avec le Journal de Montréal, le cabinet de François Legault répondait par une fin de non-recevoir à la proposition d’instaurer des « quotas » de « minorités visibles » sur les conseils d’administration des sociétés d’État. Ce billet propose d’examiner trois des principaux arguments contre l’adoption des mesures de discrimination positive.

Argument 1 : « Engager en fonction de la race, c’est raciste, peu importe. »

Ce sophisme assez courant considère qu’engager une personne sur la base de son origine ethnique ou nationale, sa couleur de peau ou sa « race » serait une forme de racisme. Ce qui est sous-entendu, c’est donc qu’une mesure visant à favoriser, à compétences égales, la candidature d’une personne racisée serait raciste envers les personnes blanches. De là, on en arrive à défendre, au nom d’une équité qui n’existe pas de facto, qu’il faudrait protéger les personnes blanches contre le racisme des personnes non blanches.

Au cours des dernières années, nous avons vu l’émergence de termes comme «racisme inversé » et « racisme anti-blanc ». Or, à ce jour, le racisme, caractérisé par une hiérarchisation, une catégorisation et la discrimination de tout un groupe d’individus, n’a jamais été appliqué à des populations identifiées comme « blanches ». C’est-à-dire qu’il n’y a pas, à ce jour, un État ou une société qui discrimine systématiquement l’ensemble des personnes blanches en raison de leur couleur de peau. De même, les personnes d’ascendance européenne n’ont pas à subir l’héritage des siècles de domination, de violence et d’exploitation sur la base de croyances alléguant leur infériorité par rapport à d’autres groupes. Autrement dit, une personne blanche n’a pas à craindre de se faire refuser un logement, un emploi ou d’être surveillée ou arrêtée par la police en raison de la couleur de sa peau.

Selon Statistique Canada, les personnes racisées (« minorités visibles ») représentent 13 % de la population québécoise. Pourtant, les conseils d’administration des sociétés d’État sont presque exclusivement composés de personnes blanches. En clair, il n’y a aucune personne racisée sur les CA de Loto-Québec, de la SAQ, d’Hydro-Québec et de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Investissement Québec fait cavalier seul en ayant une personne racisée sur un CA composé de 14 membres. Dès lors, difficile d’envisager sérieusement qu’une personne blanche n’ait pas été nommée sur un de ces CA en raison de sa couleur de peau.

Bien sûr, plusieurs facteurs peuvent expliquer la sous-représentation des minorités ethnoculturelles sur les CA des sociétés d’État, tels que les critères de sélection (le nombre d’années d’expérience requis, le type d’expérience professionnelle, la formation, la langue, etc.) ou encore les normes et pratiques organisationnelles des sociétés d’État, mais l’influence des pratiques discriminatoires observées sur l’ensemble du marché de l’emploi (nous y reviendrons plus loin) sont certainement en cause ici aussi.

C’est d’ailleurs en reconnaissant les obstacles rencontrés par les femmes et les minorités ethnoculturelles que le gouvernement du Québec ajoutait en 2006 l’article 43 dans la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État. Depuis, ces dernières doivent assurer la parité homme-femme (alinéa 2, article 43) sur les CA ainsi que mieux refléter les différentes composantes de la société québécoise en considérant « l’identité culturelle » de leurs administrateurs et administratrices (alinéa 1, article 43). En 2011, le gouvernement du Québec adoptait également par voie de décret une Politique favorisant la constitution de conseils d’administration des sociétés d’État dont l’identité culturelle des membres reflète les différentes composantes de la société québécoise​.

Or, en dix ans, force est de constater que ces efforts n’ont pas porté fruit. L’une des raisons est que l’article 43 de la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État et la politique qui l’accompagne ne contiennent aucune cible précise en matière de nomination ni d’indicateurs probants permettant de faire un véritable suivi. En outre, autant l’article 43 que la politique se limitent à parler « d’identité culturelle », un concept très large qui peut inclure ou non les personnes racisées.

À l’inverse, il semble que l’exigence de parité (alinéa 2, article 43) en étant plus spécifique (il cible clairement les femmes) et quantifiée (« à parts égales »), réussisse mieux à faire augmenter le nombre de femmes sur les CA des sociétés d’État. C’est pourquoi l’imposition de « quotas » sur les CA des sociétés d’État, qui pourrait se baser sur un programme d’accès à l’égalité en emploi (PAE) par exemple, apparaît comme nécessaire si le gouvernement veut réellement agir plus rigoureusement sur cet enjeu.

Argument 2 : « Les compétences avant toute chose, peu importe le sexe ou la couleur de la personne. Ça, c’est une véritable approche juste et équitable. »

Les études le démontrent encore et encore. À qualifications et profils égaux, les Autochtones, les femmes, les minorités racisées, les minorités sexuelles, les minorités religieuses, les personnes vivant avec une limitation fonctionnelle et les minorités linguistiques sont défavorisés dans le processus d’embauche.

Dans le cas spécifique des minorités racisées, grâce à la méthode du « testing », deux études ont révélé que les candidat·e·s ayant un nom à consonance étrangère (Traoré, Hachim, Salazar, Benounis, etc.) ont deux fois moins de chance de se faire appeler en entrevue que les candidat·e·s ayant un nom à consonance canadienne-française (Bélanger, Fortin, Tremblay, etc.). A contrario, l’étude de Paul Eid mesure qu’un Tremblay ou un Bélanger à au moins 60 % plus de chance de se faire appeler en entrevue à Montréal.

En plus de la discrimination à l’embauche, d’autres études ont examiné l’impact des phénomènes comme le « plafond de verre » (barrières qui bloquent l’ascension hiérarchique de certains groupes) et le « plancher collant » (barrières qui concentrent certains groupes dans des postes spécifiques). En outre, la culture organisationnelle joue aussi dans la manière dont les personnes racisées performent sur le marché de l’emploi. Par exemple, un climat de travail toxique peut conduire des employé·e·s racisées à quitter un emploi ou nuire à leur santé mentale.

Ces travaux complexifient l’image que nous avions jusqu’ici de l’expérience que vivent les groupes marginalisés sur le marché de l’emploi. En effet, il semble de plus en plus évident que ceux-ci se butent à des obstacles non seulement pour avoir un emploi, mais aussi une fois en emploi. À terme, l’ensemble de ces phénomènes nuisent à la réussite professionnelle des personnes racisées, tout comme celle d’autres groupes comme les femmes et les Autochtones. En définitive, et contrairement au discours méritocratique dominant au sein des sociétés libérales et des économies capitalistes, les compétences à elles seules ne suffisent pas.

Argument 3 : « Il faut faire confiance aux organismes pour qu’ils déploient plus d’efforts en ce sens. »

Selon l’attaché politique du premier ministre Legault, le gouvernement « [fait] confiance aux organismes pour qu’ils déploient plus d’efforts en ce sens ». Les piètres résultats du laissez-faire sont justement la raison pour laquelle les programmes d’accès à l’égalité en emploi (PAE) ont été rendus obligatoires pour les organismes publics.

Ainsi, rappelons que c’est au moyen de la Charte des droits et libertés de la personne que les PAE sont officiellement introduits au Québec en 1985. Différentes approches, certaines coercitives (pour les organismes publics et les entreprises de 100 employé·e·s et plus ayant des contrats avec l’État) et d’autres volontaires (pour les employeurs du privé qui reconnaissent une sous-représentation), ont été développées au cours des années afin d’accroître le nombre de femmes, d’Autochtones, de « minorités visibles », de minorités ethniques et de personnes handicapées dans les organismes publics. L’efficacité de ces programmes est toutefois relative, notamment en raison du manque de volonté politique et de leur perception négative au sein de la population. Il n’en demeure pas moins que sans les PAE, le peu de progrès que nous avons fait jusqu’ici n’aurait pas été possible.

Dès lors, si après plus de deux décennies à mettre en œuvre les PAE, les organismes publics peinent encore à atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés pour être plus représentatifs de la diversité québécoise, il est difficile de voir comment les sociétés d’État seraient capables, elles, de mieux refléter la composition démographique du Québec sans que des mesures concrètes ne soient adoptées pour y parvenir.

Auteur : Rémy-Paulin Twahirwa – chercheur à l’IRIS

(c) NeoQuébec – août 2019

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