Abolition de l'esclavage

Raconter l’histoire de l’esclavage – Qui et comment ? Le point de TAMARA THERMITUS

Tamara Thermitus, avocate émérite et chroniqueuse (1) a écrit une tribune (2) il y a quelques semaines, pour le Jour de l’Émancipation, dans laquelle, elle présentait « la théorie de la terra nullius  » – cette théorie qui voulait que les terres non occupées par des peuples civilisés, (entendu ici pour européens), leur revenaient de droit, voire par la violence – était   » le fondement de la destruction de nombreux peuples« . Et d’ajouter que  » C’est également durant cette ère que les théories racistes émergèrent, époque qui fut l’une des plus fertiles quant à la racialisation donnant notamment ouverture à toutes les horreurs de l’esclavage. ».

Tamara Thermitus voit des répercussions de cette théorie jusqu’à nos jours :  » l’héritage tant de la théorie de la découverte que de l’esclavage est le racisme systémique qui est stratifié dans les diverses institutions sociales« . Et demande donc « …de véritables changements pour démanteler le racisme systémique. ».

Ce point de vue de la chroniqueuse a suscité de nombreuses réactions, dont celle (3) d’une lectrice, historienne et archiviste de son état. Pour Mme Evelyn Kolisch, « C’est une grossière sursimplification d’affirmer que « les horreurs de l’esclavage » découlent des théories de racisme encouragées par la doctrine de nulla terris. « .

Pour l’historienne, personne n’est innocent dans l’exploitation des humains. Tout en étant d’accord avec le fait que le commerce transatlantique qui sévissait du XVIe au XIXe siècles, a eu des « effets extrêmement importants dans le développement d’un racisme systémique en Amérique« , elle estime néanmoins que  » l’histoire de l’esclavage est très longue et complexe et varie dans le temps et selon les lieux » et « ne peut se réduire à l’impact dudit commerce ».

 

Dans le texte ci-dessous, paru dans le magazine Droit-inc, l’avocate Tamara Thermitus, relance la discussion, en mettant l’emphase sur la difficulté pour les personnes discriminées à faire entendre leurs voix :  » les personnes racisées, qui subissent les discriminations, brisent le silence en contextualisant les positions de ceux qui bénéficient des hiérarchies raciales, se font rabrouer. On s’évertue à faire taire, ceux qui revendiquent que l’histoire, façonnée et racontée par les vainqueurs, tienne compte des récits des vaincus.« .

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Texte intégral de Tamara Thermitus

COMBLER LES SILENCES DE L’HISTOIRE

Il y a quelques semaines, afin de souligner le jour de l’émancipation, qui a été finalement reconnu par le gouvernement du Canada, j’ai écrit une chronique dans La Presse. Or, une ambigüité s’est glissée dans mon texte qui laissait croire qu’au moment de l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique (1834), la Nouvelle-France existait toujours. Une lectrice l’a souligné.
Bien qu’une lecture attentive, plus particulièrement des articles de capitulation de Montréal, permettait de comprendre que l’Angleterre était souveraine sur le territoire qui était jadis celui de la Nouvelle-France.
C’est une drôle lecture de l’histoire, celle qui met encore de l’avant un récit qui fait fi de l’héritage du colonialisme européen, récit jonché de génocides et d’exploitation, à commencer par la colonisation des terres autochtones.

L’histoire n’est pas l’enregistrement de faits et d’événements, mais un processus de silences activement imposés de manière inconsciente ou de façon tout à fait délibérée. (Michel-Rolph Trouillot)

Ce commentaire met en relief un aspect important de la problématique, à savoir que lorsque les personnes racisées, qui subissent les discriminations, brisent le silence en contextualisant les positions de ceux qui bénéficient des hiérarchies raciales, elles se font rabrouer. On s’évertue à faire taire, ceux qui revendiquent que l’histoire, façonnée et racontée par les vainqueurs, tienne compte des récits des vaincus. C’est d’ailleurs un des objectifs des Commissions de vérité et réconciliation : Faire entendre toutes les voix.

Dans Silencing the Past, Michel-Rolph Trouillot démontre comment le pouvoir se déploie, de façon invisible, à toutes les étapes de la fabrication de l’histoire pour faire taire certaines voix. Pour lui, l’histoire n’est pas l’enregistrement de faits et d’événements, mais un processus de silences activement imposés de manière inconsciente ou de façon tout à fait délibérée.

Esclavage et Esclavage noir.

Évidemment, il y a eu diverses formes d’esclavage à travers l’histoire des peuples. Mais, il y a esclavage et esclavage noir. La Bible fut utilisée afin de justifier l’esclavage noir en se basant sur des livres de l’Ancien Testament où Noé pour punir Cham mit Canaan, fils de celui-ci, en esclavage. Les côtes de l’Afrique furent léguées par Noé à Cham qui avec sa descendance héritèrent de l’esclavage. C’est ainsi que le lien entre Noir et esclavage vit le jour.

Cette traite est marquée par l’utilisation de la construction sociale qu’est la race (noir) comme étant un marqueur d’esclavage. Tant la race que le capitalisme sont donc les rejetons de cette traite.

Les travaux de l’éminent historien David Brion Davis ont établi que bien avant 1492, le fait d’être noir était largement associé à l’esclavage dans le monde. Ainsi, bien avant la traite transatlantique, pour les historiens de l’esclavage, les Européens avaient déjà des croyances racistes fondées sur leur supériorité et l’infériorité des Noirs.

De surcroit, l’esclavage vécu par les Noirs, victimes de la traite transatlantique, est de nature différente, traite qui a permis de peupler les terres « découvertes ». Cette traite est marquée par l’utilisation de la construction sociale qu’est la race (noir) comme étant un marqueur d’esclavage. Tant la race que le capitalisme sont donc les rejetons de cette traite.

Cette racialisation se perpétuera avec le développement d’une idéologie élaborée lors des conquêtes coloniales et de leurs politiques de domination. Elles auront pour conséquence de définir les positions sociales et d’assujettir les personnes racisées à de multiples discriminations. Tant la hiérarchisation raciale que le racisme systémique sont donc des legs de cette domination qui justifient l’infériorisation des Noirs.

Dans le contrat social, Charles Mills souligne que les principaux penseurs de la philosophie politique ont échafaudé leurs théories fondées sur une classification raciale divisant les êtres en catégories d’humains et de sous-humains. Ainsi, les Européens blancs étaient associés à l’esprit, à la pleine conscience et à la rationalité. Quant aux personnes racisées, elles étaient jugées inaptes, voire incapables. Les Noirs étaient considérés uniquement aptes aux travaux manuels. Ainsi, assimilés à l’état de nature, ils étaient dépourvus de pouvoir cognitif nécessaire à la raison, à l’autorité et à la gouvernance.

Rappelons que l’intendant Jacques Raudot a adopté une Ordonnance rendue au sujet des n`gres et des indiens dits Panis (4) en 1709 qui a légitimé l’esclavage en Nouvelle-France. Comme je le disais  » L’asservissement des peuples autochtones (5) par les Européens doit être compris dans le contexte des doctrines de la découverte, qui ont été utilisées pour justifier l’impérialisation et la colonisation des terres et des peuples autochtones. « . Faut-il rappeler que l’esclavage pratiqué par les peuples autochtones avant la conquête était totalement différent de celui pratiqué par les Européens après conquête.

Bref, en lisant la réponse, je n’ai pu m’empêcher de penser à Raoul Peck et à sa série Exterminate all the brutes. Un article (6) du New York Times soulignant l’an dernier que Raoul Peck « crée son propre contrepoids à la version occidentale dominante de l’histoire, forçant les téléspectateurs à réfléchir aux récits, à la fois populaires et académiques, dont ils ont été nourris toute leur vie. » Comme le disait Chantal Guy dans un article dans La Presse (7) Exterminate all the brutes  » c’est tout simplement l’histoire de l’humanité montrée sans fard.  ».

« La fonction, la très grave fonction du racisme est la distraction. Il vous empêche de faire votre travail. Il vous oblige à expliquer, encore et encore, votre raison d’être. Quelqu’un dit que vous n’avez pas de langue et vous passez vingt ans à prouver que vous en avez une. (…) Rien de tout cela n’est nécessaire. » Toni Morrison.

 

(1) https://youtu.be/7cjNMNK5Z3U

(2) https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-08-06/un-autre-regard-sur-l-emancipation.php

(3) https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2022-08-10/replique/personne-n-est-innocent-dans-cette-exploitation-des-humains.php

(4) https://collections.musee-mccord-stewart.ca/fr/objects/details/287131

(5) https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/slavery-of-indigenous-people-in-canada

(6) https://www.nytimes.com/2021/04/05/arts/television/exterminate-all-the-brutes-raoul-peck.html

(7) https://www.lapresse.ca/arts/2021-04-09/exterminate-all-the-brutes-de-raoul-peck/aux-sources-de-la-haine-raciale.php

Tamara Thermitus – Le Droit Inc

(c) Institut Neoquébec – Août 2022

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